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Le constat 

Depuis quelques années, on assiste à une montée des pathologies professionnelles et des risques psychosociaux signale Coutrot (2018, p. 5). Selon Gollac et Bodier (2011, p. 31), les risques psychosociaux sont l’ensemble des “risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental”.

Les exigences de rentabilité, l’augmentation des rythmes et des cadences de travail ou encore la dégradation des conditions physiques de travail dues à la mondialisation selon Gollac (2005) ne sont pas sans conséquences sur la santé des travailleurs et travailleuses. Selon l’étude de Miquet-Marty et al. (2019, p. 9-10), 52 % des personnes salariées perçoivent une dégradation du bien-être au travail en France et 9% des personnes salariées jugent négativement leur propre bien-être au travail.

Qu’est ce que le bien-être ?

Longtemps considérée comme étant l’absence de maladie, la santé psychologique a récemment été conceptualisée de façon bidimensionnelle, avec un pôle négatif et un pôle positif (Seligman & Csikszentmihalyi, 2000). La santé psychologique englobe l’absence de détresse d’une part et la présence d’un bien-être d’autre part (Achille, 2003).

Selon Ryff et Singer (2000) le bien-être renvoie aux évaluations subjectives que les individus font de leur qualité de vie en fonction de leurs expériences personnelles, de leurs relations, de leurs sentiments et de leur fonctionnement général. Dans la littérature scientifique, il existe deux approches du bien-être inspirées des travaux des philosophes de l’Antiquité sur le bonheur : l’approche hédonique et l’approche eudémonique.

Certains auteurs considèrent le bien-être comme un plaisir ou une satisfaction (Kahneman et al., 2004). Dans cette approche hédonique du bien-être, l’activité humaine est motivée par la quête du bonheur. Les études de Diener et al. (1999) sur le bien-être hédonique ont permis de mettre en évidence la notion de bien-être subjectif. Selon lui, ce construit renvoie au fait de vivre beaucoup d’affects agréables, peu d’affects désagréables et à ressentir une grande satisfaction personnelle lorsque l’on atteint ses objectifs. Le bien-être subjectif inclut à la fois des composantes émotionnelles, positives et négatives, mais aussi des composantes cognitives à travers la satisfaction de la vie.

Bien que l’approche hédonique soit la plus étudiée, plusieurs auteurs considèrent le bien-être comme un concept plus complexe que la seule atteinte du bonheur. Dans l’approche eudémonique, le bien-être se réfère à l’accomplissement de soi plutôt qu’à la recherche de plaisir. La réalisation de son potentiel et l’autodétermination sont des éléments essentiels (Kahneman, Diener et Schwarz, 1999). Le concept au cœur de cette approche est le bien-être psychologique. À travers ce concept, les auteurs s’intéressent au fonctionnement psychologique des individus et à comprendre de quelle manière ils interagissent avec leur environnement (Ryff, 1989).

Dans la littérature, ces deux approches du bien-être sont souvent opposées mais de récentes études ont montré les liens étroits entre le bien-être subjectif et le bien-être psychologique (Kashdan et al., 2008 ; Kopperud & Vittersø, 2008 ; Waterman et al., 2008). Une nouvelle approche tente de rassembler ces deux construits à travers l’épanouissement psychologique. D’après Huppert et So (2013), il s’agit d’un état composé simultanément d’éléments constituant du bien-être subjectif et psychologique.

Définir le bien-être au travail

Le bien-être a longtemps été considéré comme un construit générique, stable à travers les différents domaines de la vie (Diener, 1984). Pourtant selon Véronique Dagenais-Desmarais (P 36, 2010) : “le travail est un domaine de vie ayant ses enjeux propres, ce qui en fait une sphère d’expérience distincte dans laquelle l’individu vit une expérience unique.”

Les travailleuses et les travailleurs passent une grande partie de leur temps d’éveil au travail, il occupe une place essentielle dans leur vie (Dagenais-Desmarais, 2010). Aussi, lorsqu’il est rémunéré, le travail permet aux individus de subvenir aux besoins primaires (May et al., 2004) et de définir son identité (Garner et al., 2006). Le travail permet également de développer des compétences, d’avoir des relations sociales et d’utiliser son potentiel (Brun et al., 2003). De ce fait, le bien-être au travail apparaît comme un concept à part (Biétry et Creusier, 2013) qui inclut d’une part, les manifestations positives physique et psychologique au travail, et d’autre part, les expériences en rapport avec le travail (Danna et Griffin, 1999).

Les effets positifs du bien-être au travail

Les recherches ont montré que l’épanouissement psychologique de la main-d’œuvre était positivement corrélé à la performance (Cropanzano & Wright, 1999). Lorsque la main-d’œuvre est épanouie, la rentabilité, la productivité et les bénéfices augmentent et la main-d’œuvre est plus satisfaite au travail (Harter et al., 2002). Les travailleurs et les travailleuses épanouis bénéficient d’un meilleur soutien social de la part de leurs collègues et de leurs superviseurs et sont plus autonomes (Staw et al., 1994). Les personnes employées adoptent également plus de comportements de citoyenneté organisationnelle (Lee & Allen, 2002). Certains auteurs comme Lyubomirsky et al. (2005) ont aussi montré l’effet positif de l’épanouissement de la main-d’œuvre sur la créativité, l’engagement au travail et la santé. C’est donc dans l’intérêt des organisations d’améliorer le bien-être des personnes salariées.

Bien-être au travail en contexte de diversité culturelle

Avec l’internationalisation des entreprises et l’accroissement de la mobilité internationale de la main d’œuvre, les lieux de travail sont de plus en plus diversifiés en termes de nationalités et de cultures des travailleuses et travailleurs. Ces individus sont porteurs de systèmes de valeurs et ont d’autres modèles de comportements, d’autres langages. Pour Plivard (2014), la culture façonne la manière de percevoir le monde. Elle se présente comme un cadre de référence qui donne sens aux informations de l’environnement social. Chaque individu vivant dans un lieu donné acquiert une culture différente de celle d’un individu vivant dans un autre lieu. Cela signifie que les individus ont leurs propres codes culturels.

Selon Redfield et al. (1936), les contacts directs entre des groupes d’individus de cultures différentes peuvent entraîner des changements dans les modèles culturels de l’un ou des groupes ou des deux, c’est l’acculturation. Afin de gérer cette disparité culturelle, les individus ont recours à des stratégies d’adaptation. Néanmoins, d’après les travaux de Berry (1996), lorsque les individus sont confrontés à des difficultés d’adaptation, cela peut conduire à un état de stress d’acculturation. Ce stress se caractérise par des états de confusion, d’incertitude, de dépression, ou encore d’angoisse.

Cela peut provoquer des difficultés au sein des équipes de travail et donner lieu à des problèmes de communications (Loth, 2006), des malentendus (Bolat et al., 2017) ou encore des conflits organisationnels selon Hopkins et al. (1994). Cette rencontre interculturelles peut également entraîner une diminution de la confiance au sein des équipes de travail (Letki, 2008), une réduction de la cohésion de groupe (King et al., 2009) et un haut niveau d’incohérence entre les valeurs (Hopkins et al., 1994) et elle peut renforcer l’effet de la discrimination (King et al, 2012). Même si la diversité culturelle peut menacer le bien-être psychologique des personnes salariées, certains auteurs ont montré que cette rencontre peut avoir des effets positifs sur la prise de décisions et la génération d’idées (Milliken & Martins, 1996).

Pour faire de la diversité culturelle un véritable levier de bien-être au travail, Vincent Calvez (2009) conseille de développer les compétences interculturelles de la main-d’œuvre et de lutter contre les discriminations. D’après Rockstuhl et al. (2012), la compréhension des différences culturelles et la capacité à les surmonter sont des éléments essentiels pour avoir des interactions interculturelles efficaces. Grâce à une démarche proactive visant à comprendre l’autre, reconnaître ses différences et les valoriser et une démarche réactive dont le but est de réduire les dysfonctionnements liés à la diversité, il est possible d’améliorer de le bien-être des personnes salariées ainsi que leur productivité (Cornet & El Abboubi, 2012).

Qui suis-je?
Inès Seghiouer, membre active de Rezalliance et étudiante en Master de psychologie du travail. Inès a pour objectif d’oeuvrer pour la diversité et l’inclusion au sein des organisations.

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